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Le groupe pétrolier creusois qui détient la marque Avia sur la moitié Ouest de la France prépare la transition énergétique en misant sur l’hydrogène. Un changement majeur qui dessine le futur de la mobilité.
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"Dans 20000 lieues sous les mers, Jules Verne faisait tourner le Nautilus à l’hydrogène », rappelle en préambule Michael, responsable stratégie nouvelles énergies et innovation chez Picoty. Depuis le début de l’année 2021, l’ingénieur dirige une nouvelle équipe de 5 personnes logée à la technopole Ester de Limoges. « Picoty s’inscrit dans la transition énergétique pour remplacer ses énergies fossiles. J’ai été recruté pour travailler ces nouvelles énergies. Le projet est ambitieux. Il ne s’agit rien de moins que de repositionner le groupe pétrolier Picoty sur les énergies renouvelables et plus précisément l’hydrogène et l’électricité. »
Acteur historique
Hors de Creuse, le berceau de la famille, Picoty est discret. Il est pourtant un acteur historique des hydrocarbures en France et un poids lourd. La famille représente la marque Avia, troisième distributeur de produits pétroliers en France, sur la moitié Ouest du territoire.
Le groupe s’est doté d’une nouvelle filiale de recherche et développements. Le projet est conduit en lien avec deux prestataires reconnus dans le domaine de l’innovation : Nexeya à Angoulême, grande entreprise de recherche et développement industriel et le centre de recherche CEA Tech de Bordeaux. Parmi les projets en cours de développement, « la borne multi-énergies », électricité et hydrogène, qui fait appel à de nouvelles technologies. L’objectif est de mettre en place des démonstrateurs, de tester les modèles économiques et partir sur le développement industriel », précise Michael.
© Picoty
Electricité et hydrogène
Les nouvelles stations délivreront de l’électricité pour satisfaire une demande qui explose. La vente de véhicules enregistre une croissance de 200% en 2020 en Europe, notamment due à l’accompagnement par les Etats. Mais le pétrolier mise clairement sur l’hydrogène. « Le modèle du tout électrique possède ses limites, analyse Michael. Il y a d’abord les temps de recharge, toujours longs. Difficile d’attendre 45 minutes le rechargement de son véhicule sur une aire d’autoroute, même avec les bornes rapides et super rapides que nous mettons en place. Puis, il y a des questions de fond : la nécessité d’extraire des composants rares à l’autre bout de la planète, ou le fait que, dans la propulsion électrique, 60% de l’énergie sert à transporter la batterie. Le rendement est donc catastrophique. A ce tableau, il faut ajouter le problème de la production et de l’alimentation du réseau. Durant l’hiver 2020, la France a dû s’approvisionner en Allemagne où une partie de l’électricité est produite à partir du charbon… Même en dehors du débat sur le nucléaire, cela pose de sérieux problèmes écologiques. »
L’hydrogène semble être une réponse. Avec une taille de réservoir identique à celle d’un véhicule thermique, l’hydrogène procure une autonomie de 600 km et bientôt plus. Le plein se fait en 5 minutes et le seul rejet est de l’eau pure distillée, 7 litres tous les 100 kilomètres environ. « La conversion du parc et la production sont lourds en investissement. Ce n’est pas sans risques. Mais l’hydrogène va très vite, c’est pourquoi le groupe a décidé de se lancer. »
Premiers démonstrateurs
Le premier démonstrateur est prévu au port de La Rochelle et s’inscrit dans le projet LUZO pour logistique urbaine zéro carbone. « Nous allons produire de l’hydrogène par électrolyse et photovoltaïque sur le parc Atlantech pour alimenter la mobilité douce : vélos à hydrogène, véhicules berlines et de livraison dernier kilomètre tout hydrogène ou hybrides électriques-hydrogènes. Le début de la production est imminent. Les véhicules sont proposés en location avec un forfait énergie inclus dans la location. » L’industriel vise un coût au kilomètre pour l’usager équivalent à celui du diesel, avec l’avantage du zéro émission. « Dans un second temps, nous développons également le projet CATHY sur le port autonome. C’est un projet multi acteurs, qui se veut être un hub de démonstration hydrogène et de test multi-usages : camions, ferro tracteurs, navettes fluviales et maritime, taxis, bus... Le premier démonstrateur est prévu fin 2022. Il se greffera sur une station existante qui délivre aujourd’hui du gaz naturel et Biogaz. »
Dans la stratégie du groupe Picoty, chaque point de distribution est conçu pour devenir également une source d’approvisionnement du réseau électrique en énergie verte. La jeune filiale élabore un projet de ce type avec Limoges métropole, avec pour objectif d’alimenter les transports en commun, véhicules de service, « mais pas que... L’hydrogène permettra à la France d’être autonome en énergie », prédit l’ingénieur. « Elle permettra non seulement de produire une énergie verte pour la mobilité, mais aussi de produire de l’électricité à injecter sur le réseau pour être en autoconsommation - boucle locale. »
Nouvelles compétences
Solidement doté d’un master en génie électrique et d’un MBA en administration des nouvelles technologies et d’expériences internationales, Michael s’amuse de son parcours : « J’ai fait toutes mes études autour de l’optimisation des énergies pour sortir du pétrole. Jamais je n’avais imaginé travailler un jour pour un groupe pétrolier ! ». C’est pourtant là qu’il trouve les leviers d’action. Autour de lui, des compétences qui complètent les siennes : un jeune docteur en optimisation énergétique, « essentiel pour améliorer les process industriels et trouver les solutions les plus économes en énergie » ; un ingénieur dans le domaine des matériaux composites pour l’optimisation de l’efficience énergétique de la borne et l’amélioration du système à partir de composants biosourcés ; un autre ingénieur en intelligence artificielle pour que la station soit « agile et intelligente, capable de recueillir les données, de les interpréter et d’orienter les utilisateurs vers les stations disponibles ». Enfin, deux développeurs travaillent à l’application mobile dont seront équipés les utilisateurs. « Ce n’est qu’un début. Le développement de l’hydrogène implique la création d’une génération d’emplois spécialisés et donc des plans de formation pour ces nouveaux métiers que nous développons avec l’AFPA de Châtellerault. On peut imaginer que Limoges devienne un des hubs technologiques spécialisés hydrogène de demain. Comme le disait Edwin Herbert Land : « Innover, ce n’est pas avoir une nouvelle idée, c’est arrêter d’avoir une vielle idée. »