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Agroécologie : un long parcours de conversion

Temps de lecture 7 minutes

A Chatain dans la Vienne, Mickaël Brunet a progressivement changé ses pratiques pour une agriculture qui préserve mieux les sols. Cette démarche de transition agroécologique est un long parcours qui a permis à l’éleveur de se réapproprier son métier.

Publié le Lundi 20 février 2023
  • #Agriculture
  • #Biodiversité
  • #Environnement
  • #Particulier

Il y en aura eu « des nuits blanches » et « des doutes à n’en plus finir » dans le long changement de pratiques entamé par Mickaël Brunet. Sans compter les échecs du début. « J’ai réussi à aligner toutes les mauvaises étoiles », se souvient l’agriculteur installé dans la Vienne. Mais pour rien au monde l’éleveur ne reviendrait sur la démarche entamée il y a plus de 10 ans, et qui lui a permis de « se réapproprier le métier ».

A Chatain, à environ une heure au sud de Poitiers, Mickaël Brunet a repris une exploitation en 2000, après un bac professionnel et un début de BTS « lâchement abandonné », dit-il en riant. Avec un ouvrier à plein temps, l’agriculteur de 43 ans élève une soixantaine de vaches limousines pour la viande et travaille en polyculture. L’exploitation s’étend sur 360 hectares dans un paysage de bocage. Parmi les cultures de colza, maïs, blé, orge, tournesol ou féveroles, 100 hectares de prairies et de céréales servent à nourrir le troupeau ; le reste des surfaces est destiné à la vente.

Mickaël Brunet est éleveur de vaches limousines
A Chatain, Mickaël Brunet entend aussi préserver le paysage de bocage.

Agriculture en conservation des sols

Longtemps gardés en tête, les questionnements de l’agriculteur l’ont poussé à franchir le pas en 2012. Avec un constat : « les choses que l’on faisait avant fonctionnaient de moins en moins bien. Quand je me suis installé, on labourait et on voyait des oiseaux venir picorer des vers de terre. Au fur et à mesure, on a vu moins d’oiseaux. Du coup on s’interroge : est-ce parce qu’il y a moins d’oiseaux ou moins de vers de terre ? »

Au sein de sa coopérative, Océalia, Mickaël Brunet entend parler d’un groupe qui cherche à réduire l’utilisation des pesticides et des produits phytosanitaires. « Là, raconte l’agriculteur, je me suis rendu compte que le travail du sol comme je le faisais était néfaste : on tuait nos sols. » L’exploitant décide alors de passer en agriculture de conservation des sols, en changeant au fil des années ses pratiques

Les groupes Dephy
Dans le cadre du plan national Ecophyto, le réseau des fermes Dephy rassemble les exploitations agricoles engagées dans une démarche volontaire de réduction des pesticides.

Un autre état d'esprit

L’agriculture en conservation des sols implique une diminution drastique du travail du sol : les labours qui retournent le sol et le mettent à nu sont supprimés ; les passages pour les semis en été et en automne sont simplifiés ; les produits phytosanitaires sont remplacés dès que possible par des produits naturels ; et surtout, insiste Mickaël Brunet, « on sort les solutions chimiques en dernier recours ».

« C’est tout un changement d’état d’esprit. Au lieu de n’avoir qu’une vue segmentée sur l’exploitation, on raisonne avec beaucoup plus de hauteur : on prend en compte les haies, les milieux environnants, les cultures voisines… Le travail mécanique du sol est remplacé par le travail des plantes. » Colza et tournesol sont cultivés avec des plantes compagnes (des légumineuses comme le trèfle et la luzerne) qui permettent de lutter contre les insectes ravageurs et améliorent la nutrition azotée. Douze à quinze plantes différentes sont semées dans les champs entre les périodes de culture, ce qui contribue en plus à nourrir les abeilles de l’apiculteur voisin.

Cette nouvelle agriculture est un cercle vertueux qui a permis de réduire l’impact carbone de l’exploitation. Moins de travail au tracteur fait baisser, mécaniquement, la consommation de gasoil. Utiliser moins de produits de synthèse diminue aussi, de façon indirecte, la production de gaz à effet de serre… Et face au changement climatique, Mickaël Brunet observe plus de résilience sur ses terres : « quand il pleut, l’eau ruisselle moins et rentre dans les sols. Elle remonte ensuite par capillarité avec les racines en période de sécheresse. »

L'appel à projets bas carbone

Gestionnaire des fonds européens, la Région Nouvelle-Aquitaine met en œuvre les mesures de la PAC (politique agricole commune) en faveur de la transition agroécologique. Ainsi, l’appel à projets MAEC (mesures agroenvironnementales et climatiques) bas carbone permet aux exploitations de bénéficier d’une aide forfaitaire pour améliorer leur bilan carbone.

L'appel à projets MAEC dans le guide des aides

Une agriculture de précision

Loin d’être un retour en arrière, cette évolution des pratiques est allée de pair avec une montée en savoirs, en compétences et en techniques. La transition agroécologique réalisée par Mickaël Brunet s’est appuyée sur du matériel et des technologies plus pointues. « C’est tout bête, mais la géolocalisation par GPS est indispensable pour savoir où vous vous trouvez et quelle surface travailler dans un champ qui est couvert de végétation. » L’éleveur a également pu bénéficier d’aides européennes à l’investissement pour un semoir et des appareils à traiter plus précis.

Car la transition agroécologique représente un coût bien réel, difficile à évaluer. « Il y a aussi du temps et de l’investissement personnel. Il faut constamment se former, et surtout travailler en groupe, ne pas rester seul ». Au sein de l’association Agrosol 86, animée par la Chambre d’agriculture de la Vienne, l’agriculteur est en contact avec une cinquantaine d’adhérents qui progressent chacun à leur rythme. Cet hiver encore, Mickaël Brunet a continué à suivre environ une journée de formation par semaine : pour savoir comment nourrir les sols, quelles plantes compagnes semer entre les inter-rangs des cultures, comment creuser une fosse pédologique pour lire son sol… « Il faut accepter de retourner à l’école, car on change totalement d’agriculture. Avant, on faisait toujours la même chose. Aujourd’hui, on se rend compte qu’il y a pratiquement une méthode par exploitation : il faut comprendre ce qui se passe chez les autres pour adapter intelligemment le modèle chez soi. »

Sur l'exploitation de Michaël Brunet
Le paysage de bocage, avec des haies

Séquestrer du carbone avec les cultures

L’agriculteur a aussi fait le choix de ne pas avoir de label excepté une certification HVE (haute valeur environnementale). « J’ai peut-être tort, mais je préfère garder mon indépendance. Je suis assez fier de m’être libéré du carcan des discours techniciens. Je ne voulais pas m’enfermer dans un autre cahier des charges. » Refusant tout dogmatisme, Mickaël Brunet préfère « rester curieux » et ouvert à toutes les solutions qui fonctionnent.

Ainsi, avec sa coopérative, l’exploitant valorise mieux sa production en vendant du colza certifié bas GES (issu d’une production avec un bas niveau d’émission de gaz à effet de serre). Un diagnostic réalisé à l’occasion de la certification HVE a confirmé que l’exploitation de Chatain avait un bilan carbone neutre. L’objectif de Mickaël Brunet est désormais d’arriver à séquestrer du carbone avec ses cultures, notamment en réintroduisant plus de légumineuses. « Avec les forestiers, nous, les agriculteurs, nous sommes les seuls à pouvoir faire ça. »

Réussir la transition agroécologique

Pour accompagner la filière agricole dans sa transition, la Nouvelle-Aquitaine déploie un ensemble d’actions qui vont de l’innovation dans les entreprises, pour de nouvelles solutions techniques, jusqu’au soutien des exploitations avec des aides financières. La politique régionale intègre l’éco-socio-conditionnalité des aides : la délivrance des aides publiques est soumise à des critères environnementaux, économiques et sociaux, pour inciter les changements de pratiques.

En savoir plus sur l’action régionale pour la filière agricole

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